Notre-Dame des Landes : la ZAD défie le gouvernement

Quelques jours avant un rassemblement organisé par les opposants à l'aéroport, ceux-ci, qui vivent sur place ou soutiennent la lutte depuis des comités de solidarité installés dans toute la France, défient ouvertement le gouvernement. Le premier-ministre Valls n'a pas hésité à annoncer il y a quelques mois que les forces de l'ordre déferleraient sur la ZAD à l'automne pour permettre le démarrage des travaux de l'aéroport.

 

Le projet d'aéroport suscite la controverse depuis les années 1960, quand il a été initié. Il est illégal https://breizhjournal.wordpress.com/2012/11/22/laeroport-de-notre-dame-des-landes-est-illegal/ par rapport au droit européen, et notamment à la directive loi sur l'eau. Les prévisions de trafic aérien ont aussi été truquées https://breizhjournal.wordpress.com/2012/12/14/nddl-comment-la-dgac-a-truque-les-previsions-de-trafic-aerien/ sur une longue période, afin de justifier artificiellement le projet. Surtout, si le gouvernement a organisé un référendum dans le département de Loire-Atlantique, qui a donné le oui à l'aéroport à 55,17%, il n'a pas tranché la question, loin de là. Les communes situées aux abords immédiats de l'aéroport ont voté non à la majorité (jusqu'à 73% de non à Notre-Dame des Landes par exemple, 60% à Fay de Bretagne, 54% à Héric) avec une très forte participation, et à Nantes même, où depuis des années les autorités tentent de convaincre les habitants qu'il est anormal que les avions survolent la ville... ce qui se passe pourtant pour bien des aéroports dans le monde, le non est à 100 voix du oui.

 

Le périmètre lui-même pose question : « soit ce sont tous les contribuables qui paient pour l'aéroport qui votent, et on doit consulter tous les habitants des régions administratives Bretagne et Pays de Loire, de Brest jusqu'au Mans, soit on fait juste voter les communes qui subiront les nuisances, et qui encaisseront les recettes liées à l'activité à l'aéroport, auront les emplois sur leur territoire et pourront se développer », résume un élu du secteur. Mais le département de Loire-Atlantique était, selon les sondages confidentiels commandés par le gouvernement, le seul endroit où le oui était assuré, les marges pauvres du département, situées loin de l'aéroport et de ses nuisances, ayant voté pour les emplois mis en avant par les porteurs du projet. Et dont rien n'est sûr : le départ de l'aéroport de Nantes pour Notre-Dame des Landes met en péril la survie de l'usine Airbus de Nantes, de son pôle technologique, de ses sous-traitants et de la zone fret existante. En tout, jusqu'à 8000 emplois sont menacés.

 

Et puis si le gouvernement voulait, avec le résultat du référendum, effacer le soutien populaire aux opposants à l'aéroport, c'est raté : « ils ont voulu annihiler le soutien, on en a encore plus », résume un zadiste, pour qui « personne n'est dupe de cette mascarade pseudo-démocratique » que constitue selon lui le réferendum. En tout état de cause, « que l'aéroport soit construit ou non, cette affaire laissera des profondes fissures qu'il sera difficile de combler », résume un habitant de Blain. Comme d'autres communes situées dans une ceinture de 15 à 20 km autour du projet, la population est divisée, et la campagne du référendum a surtout contribué à radicaliser les positions des uns et des autres et à mettre en lumière les collusions, par exemple de l'association des entrepreneurs de la région de Châteaubriant dont la réunion d'information sur l'aéroport s'est rapidement transformée en meeting pour le « oui ».

 

Dans ces marges pauvres du département, ces terres du déclin anciennement minières et industrielles « ça fait des décennies que les notables cassent tout, qu'ils laissent le savoir-faire industriel partir à vau l'eau, par exemple ABRF qui était le dernier atelier de construction et de réparation de wagons ferroviaires de l'ouest de la France, tout en expliquant aux populations que ce n'est pas grave, il va y avoir l'aéroport de Notre-Dame des Landes et ce sera la manne en termes d'emploi et tout », résume un habitant de Châteaubriant. Et ça marche : les communes du secteur ont voté massivement pour l'aéroport (avec une participation assez faible), jusqu'à 85.10% pour le oui à Ruffigné ! « Cela n'a aucun sens. Il est évident que les gens qui vont travailler à l'aéroport ne vont pas aller vivre à Ruffigné, à une heure de route, où il n'y a quasiment rien, pas de transports en commun et pas d'activités, sauf à reprendre la voiture pour aller à Châteaubriant pour à peu près tout », résume, désabusé, un habitant du village.

 

« Sur la ZAD, la vie continue malgré les menaces du gouvernement »

 

Le 29 septembre, à la Vacherie, QG du mouvement en lieu et place duquel le projet d'aéroport prévoit de construire l'aérogare, avait lieu une conférence de presse. Un grand rassemblement est prévu le 8 octobre, sous le slogan « que résonnent les chants de nos bâtons ». A partir de 10 heures https://reporterre.net/Week-end-de-soutien-a-la-Zad-de-Notre-Dame-des-Landes-voici-les-infos-pratiques trois cortèges de manifestants équipés de bâtons de marche s'élanceront depuis les Ardilières (4 km), le Pré Failly (3,5 km) et Rohanne (2 km) pour rejoindre la ferme de Bellevue, située à l'ouest de la ZAD.

 

Derrière cette ferme, un hangar en bois est assemblé depuis la fin de la semaine dernière par des charpentiers. Ils ont acquis un lot de bois déclassé, taillé les pièces à la hache et à la herminette, selon la méthode traditionnelle, pour constituer un hangar de 10 mètres de large par 20 de long, avec 8 mètres de hauteur au faîtage. Il accueillera des activités liées à la menuiserie et à la fabrication de briques en terre. Des prises de parole et un concert sont aussi prévus sur place. La ZAD a aussi acquis un autre hangar, en fer celui-là, pour 1500 €, « qui sera monté en cas d'intervention policière ». Il est pour l'instant caché. Et pour l'heure, « la vie continue pour tous les habitants de la ZAD, malgré les menaces du gouvernement . Le bocage continue à vivre et à se construire ».

 

Le rassemblement s'annonce massif : à dix jours du 8 octobre, des cars devaient partir depuis plus de 30 villes françaises. « On attend beaucoup de monde. Nous voulons nous mobiliser pour dissuader le gouvernement d'intervenir sur la ZAD », affirment clairement les opposants à l'aéroport, volontiers solennels : « le fait de planter le bâton ancre le serment de notre présence dans le sol de Notre-Dame des Landes ». Ils balaient toute accusation de violence : « la violence, elle est du côté des porteurs du projet, du côté de ceux qui ont tué Rémi Fraisse [militant écolo opposé à la construction du barrage de Sivens, tué par une grenade de désencerclement lancée par un gendarme le 26 octobre 2014, alors qu'il était désarmé et les mains en l'air. Le projet de barrage a été arrêté, et le gendarme qui a lancé la grenade ne sera pas jugé, NDLA], du côté de la police. De notre côté, il s'agit de nous défendre. Nous n'allons pas constituer un stock d'armes : nos bâtons, face aux flashballs et à des policiers casqués, bottés, ne font pas le poids. Mais nous allons résister ». Et se montrent résolus : « la fébrilité est du côté des porteurs du projet, nous on a un cap et on s'y tient ».

 

 

Une intervention policière imminente ?

 

Plusieurs signes montrent qu'une intervention policière, promise par le pouvoir socialiste aux élites politiques locales de droite et de gauche, pourrait arriver cet automne. Même si aux dernières nouvelles, les forces de l'ordre pourraient arriver en novembre, après avoir évacué la jungle de Calais dont le démantèlement doit commencer le 17 octobre et durer 10 jours, les signaux inquiétants s'accumulent.

 

Parmi eux, le fait que plusieurs compagnies de gendarmes mobiles ont vu leurs permissions suspendues à partir d'octobre, ou que Vinci ait engagé des maîtres-chien en nombre pour sécuriser la ZAD - une fois vidée de ses habitants - à partir de mi-octobre. Selon nos informations, les gendarmes mobiles s'entraînent depuis des mois à vider une zone occupée secteur après secteur, et jusqu'à 3800 hommes pourraient être mobilisés dans l'opération, dont 2500 gendarmes mobiles. D'anciens réservistes du secteur ont été mis en alerte à partir de fin septembre : « nous pourrions nous retrouver à faire la circulation sur des carrefours, autour de la ZAD, qui seront bloqués pour empêcher des renforts paysans ou zadistes d'arriver sur zone », avance l'un d'eux. Des carrefours pourraient être bloqués, pas seulement autour de la ZAD, mais beaucoup plus loin, en amont, dans les communes environnantes. Ce qui ne manquera pas de poser d'importants problèmes de circulation aux habitants.

 

Pendant ce temps, la ZAD aussi se prépare. Courses d'orientation pour se retrouver sur l'ensemble du territoire - près de 1000 hectares - ou encore grimpette dans les arbres, organisations de tours de guet, les opposants à l'aéroport sont parés à toute éventualité. Le pouvoir espère quant à lui évacuer la ZAD en trois semaines, ce qui n'est pas gagné, loin de là, puisqu'une précédente opération d'expulsion, en 2012, baptisée opération César et initiée par le parrain du projet, l'ancien maire de Nantes Jean-Marc Ayrault qui était devenu alors Premier-ministre, avait piteusement échouée. C'est surtout la dernière fenêtre possible : selon la déclaration d'utilité publique, l'aéroport doit être mis en service au 1er janvier 2019 dernier délai. Ce qui oblige à commencer les travaux maintenant. Sinon l'ensemble des enquêtes publiques doit être repris - en respectant les lois cette fois - et les terrains expropriés doivent être rendus à leurs propriétaires.

 

 

Des obstacles devant l'intervention policière

 

Cependant, il y a encore des obstacles. Si la préfecture a autorisé la destruction du campagnol amphibie, espèce protégée rare et discrète présente sur la ZAD, d'autres espèces protégées n'ont toujours pas d'arrêté qui permet leur destruction. Selon Jean-Marc Dréan, du collectif Naturalistes en lutte - opposé au projet d'aéroport et qui a réalisé, avec des bénévoles et des naturalistes professionnels, un patient et détaillé inventaire de la biodiversité locale - ces espèces sont « la pulicaire, la cicendie naine et le Triton de Blasius », très rare et même exceptionnel en Loire-Atlantique, où il fut pourtant découvert par le naturaliste nantais Arthur de l'Isle de Dréneuf en 1858. « De façon générale, il y a ici un environnement préservé qui fait qu'il y a un nombre importants d'espèces protégées avec des effectifs assez nombreux. Le début des travaux signifiera la mort des campagnols amphibie par exemple, car il est irréaliste de les attraper et de les transférer vers d'autres prairies humides. On risque de perdre une zone naturelle exceptionnelle à l'échelle de la région », s'inquiète-t-il.

 

L'Union Européenne bloque elle aussi le début des travaux, car elle a engagé une procédure d'infraction contre la France puisque le projet d'aéroport ne respecte ni le droit européen, ni le droit français. L'UE exige que le projet d'aéroport soit intégré au schéma territorial (SCOT) de Nantes-saint-Nazaire, avec une évaluation environnementale. L'enquête publique est en cours http://www.nantessaintnazaire.fr/enquete-publique-scot/ et ledit SCOT ne devrait pas être adopté avant novembre. Or, en novembre, c'est trop tard : la destruction d'espèces naturelles et l'abattage d'arbres sont interdits.

 

Surtout, les résidents de la ZAD devraient pouvoir bénéficier d'une procédure d'expulsion en bons et dus termes, comme en 2012... ce qui avait d'ailleurs bien aidé à gripper l'intervention policière, alors. Les « cabanes » sont en effet habitables, et sont souvent la résidence principale des militants anti-aéroport. Le droit commun s'appliquent donc, avec délai pour partir, voies de recours et... possibilité de trêve hivernale, du 1er novembre au 31 mars. Et des dizaines de recours judiciaires nouveaux, qui s'ajouteront à la guérilla judiciaire entamée par les opposants depuis 2011, avec des centaines de recours, y compris devant les instances européennes.

 

Par ailleurs, la multiplication de « lieux de vie » aux abords de la ZAD, mais pas expulsables complique la tâche des forces de l'ordre. Même si les zadistes sont évacués, ils pourront rester à proximité immédiate, quelques centaines de mètres seulement, et ce tout à fait légalement. « Ce n'est pas tout de nous jeter dehors, il faut encore qu'ils tiennent le terrain pour faire leurs travaux. Et là, ça va être difficile pour eux, car nous on connaît chaque feuille, eux non », résume Camille, un zadiste. Une intervention policière réussie pourrait très bien être le début d'une longue défaite pour le projet.