Pourquoi la Russie ne cédera jamais au Japon

Au début du XXIième siècle le monde entier est en litige pour les petits bouts de terre que ce soient les îles ou juste des rochers isolés en plein océan ou encore des îles artificielles créées au-dessus des bas-fonds. C'est que, selon le droit international, le propriétaire d'une telle unité terrestre a le droit de revendiquer une zone d'intérêt commercial de 200 miles nautiques tout autour. Il peut aussi avoir jouissance de 12 miles nautiques de diamètre de ses eaux territoriales.

 

Et il se trouve que la région des îles Kouriles est fantastiquement riche en poisson et fruits de mer - saumon, goberge, hareng, saury, anchois, perche, flet, calmar pélagique, octopus, oursins, crabe de Kamtchatka, algues...

 

La plate-forme continentale abonde en gisements pétrolifères et gaziers énormes dont la prospection et l'exploitation sont relativement faciles à réaliser et peuvent être rentables même à l'état actuel du développement technique.

 

Mais, à mon sens, l'aspect militaire est une raison autrement plus importante pour ne pas céder ces îles. Dans les médias russes, il a été déjà question de l'existence d'un chenal naturel d'eau profonde entre les îles de Kounachir et Itouroup, le seul à ne pas geler en hiver le long des îles Kouriles. La perte ne serait-ce que de ces deux îles encloîtrerait la flotte russe du Pacifique dans les bassins de ses bases navales. Autrement dit, la Russie perdra le droit d'accès libre à partir de la mer d'Okhotsk vers l'océan Pacifique.

 

Mais ce n'est pas tout. Dans les années 60-70 du XX siècle, les sous-marins nucléaires soviétiques armés de missiles R-13 et R-21 avaient pour mission de patrouiller dans la partie centrale de l'Atlantique et la partie occidentale du Pacifique. Cependant, à partir du milieu des années 90, les Américains ont obtenu une suprématie écrasante sur la Fédération de Russie en bâtiments de guerre, sous-marins et avions. C'est ainsi qu'au début de 2016, les Etats-Unis possédaient 29 sous-marins nucléaires cantonnés dans la région du Pacifique ; les Japonais, eux, disposaient de 18 sous-marins diesel de nouveau type. On comprendra que la sécurité des SNLE russes a été mise en cause.

 

Et c'est sans discontinuer que les Américains font des provocations contre les sous-marins russes. Ils lancent des imitateurs qui miment une attaque à la torpille, entreprennent des manœuvres dangereuses et feignent de vouloir porter un coup de boutoir contre la coque des SNLE russes, etc. De façon périodique, on constate les collisions qui pourraient mener à une catastrophe nucléaire.

 

C'est ainsi que le 24 juin 1970 à 04.57, dans la mer d'Okhotsk, à une profondeur de 45 mètres le sous-marin nucléaire soviétique K-108 (projet 675) se fit heurter par le SNA américain « Totog ».

 

Suite au coup reçu, le système automatique anti-incendie coupa les deux réacteurs nucléaires. Le sous-marin est parti vers le fond avec un fort angle d'inclinaison vers la proue. Tout de même, grâce à des initiatives énergiques entreprises par le capitaine de vaisseau Bagdassarian on sut éviter le pire. Le K-108 refit surface. Son hélice droite se trouva endommagé par le coup porté. L'équipage dut faire recours au remorquage.

 

Le K-108 fut mis en travaux au chantier naval de Bolshoï Kamègne (Gros Rocher) et s'y trouva à partir de juillet 1970 jusqu'à février 1971.

 

Le 20 mars 1993, dans la mer de Barents, à proximité de Mourmansk, à une profondeur de 74 mètres, le sous-marin nucléaire américain « Grayling » (SSN-646, de la classe Sturgeon) a porté un coup de bélier contre la coque du SNLE K-403 (projet 667BDRM). Les moyens de contrôle hydroacoustiques du K-403 rendaient possible la détection du « Grayling » à une distance de 2-3 encâblures ; pour les systèmes américains cela a été possible à 7-10 encâblures. Si l'attaque avait eu lieu 20 secondes plus tard, le coup aurait percuté le silo à missiles. On peut être sur que le combustible liquide des missiles aurait explosé ce qui aurait pumettre le feu aux ogives nucléaires des missiles. Après cette collision, les Américains ont retiré le « Grayling » de la circulation . En revanche, le K-403 a été réparé et repris son son service actif.

 

A partir des années 70, le gouvernement soviétique proposait aux Américains unilatéralement et sans succès d'ailleurs, de créer des zones de patrouille des SNLE, libres des systèmes de défense anti-sous-marins. Il s'agissait alors des négociations parfaitement honnêtes et menées à parité par les deux parties. La marine nationale russe avait le même nombre d'unités que la marine américaine : il y avait alors des dizaines de croiseurs, frégates, destroyers et sous-marins russes de tout type dans l'Atlantique, l'Océan Indien et le Pacifique. Quant à l'aviation stratégique et de défense anti-sous-marine russe, fabriquée sur la base de Tupolev-95, elle était toujours à la recherche des bâtiments et sous-marins américains sur toute l'étendue des océans. Il y avait des bases de ravitaillement au Cuba, en Angola, en Ethiopie, au Vietnam et dans d'autres pays. A partir de 1991, toute cette stratégie a été abandonnée et les Américains se sont retrouvés tous seuls.

 

Alors les amiraux russes ont inventé un nouveau terme : Région militaire protégée (RMP). On peut en créer dans quelques districts isolés en Arctique - dans la mer Blanche, par exemple, ou celle de Kara. Mais, pour ce faire, il faut fermer les détroits menant vers ces espaces aquatiques ce qui est réalisable avec les champs de mines (y compris des mines-torpilles) et des filets anti-sous-marins. Il est à noter que le droit international n'interdit pas de mettre les champs de mines en temps de paix, dans ses propres eaux territoriales et dans les mers fermées.

 

Alors comment transformer la mer d'Okhotsk en RMP ? Considérons deux détroits entre Kounachir et Hokkaido. Le détroit d'Izmena est long de 24 km pour une largeur de 20 km. Sa plus grande partie se trouve dans les eaux territoriales russes. La profondeur maximum serait de l'ordre de 22 mètres. Le détroit est difficilement navigable, car la profondeur limite du chenal n'est que de 7 mètres et ses contours changent en permanence.

 

Permettez-moi une question de pure rhétorique : un sous-marin nucléaire d'un déplacement de 6 mille tonnes saurait-il s'y infiltrer ?

 

Le détroit beaucoup plus approprié à la navigation est le détroit de La Pérouse. Sa longueur est de 94 km, sa largeur, dans la partie la plus étroite, est de 43 km pour une profondeur moyenne de 20-40 mètres et maximale de 118 mètres. En hiver le détroit est gelé. Les eaux territoriales japonaises n'y constituent que 3 miles (5,5 km). Les médias japonais affirment que le gouvernement du pays a fait rétrécir ses eaux territoriales pour que les bâtiments de guerre des Etats-Unis pourvus d'armes nucléaires ne violent pas formellement le statut non-nucléaire du Japon.

 

Il est intéressant de signaler que presqu'au centre du détroit de La Pérouse, à une distance de 14 km vers le sud-est du cap Crillon, le point le plus méridional du Sakhalin, se trouve le Rocher du Danger. C'est un groupe de pierres dépourvu de toute végétation d'une longueur de 150 mètres pour une largeur de l'ordre de 50 mètres compliquant beaucoup la navigation dans le détroit. On y fit installer un phare automatique et la cloche anti-brouillard. A partir de septembre 1945, ce rocher appartient à la Russie.

 

Il est également à noter qu'en 1941, le Japon a instauré le passage du détroit sans autorisation préalable. Il suffisait de soumettre une demande automatique jours avant le passage du navire.

 

Comme nous le voyons, les bâtiments américains auraient le plus grand mal à s'infiltrer en passant par les détroits d'Izmena ou celui de La Pérouse. C'est pourquoi même avant, presque toujours ils utilisaient pour leurs incursions les détroits des îles Kouriles.

 

Faut-il expliciter davantage que le transfert des Kouriles du Sud sous la juridiction japonaise ouvrirait, de fait, la voie de la mer d'Okhotsk aux marines américaine et japonaise ?

 

Un vieux proverbe dit : « La diplomatie est l'art de rendre l'impossible possible ». Les diplomates russes et japonais sauraient-ils trouver une formule de compromis?D'une part, un tel compromis devrait laisser les îles Kouriles sous l'autorité russe, mais d'autre part, cela devrait procurer aux sociétés japonaises la possibilité d'exploiter en régime commun avec la Russie les richesses fabuleuses des îles.

 

Mais quel que soit la nature du traité, il devrait impérativement comporter la clause sur le statut fermé de la mer d'Okhotsk russe où aucun navire ou avion américain ou japonais ne saurait s'introduire.

 

Par Alexandre Shirokorad