L’oléoduc turc libérerait la Russie de la contrainte ukrainienne

Le Parlement de la Turquie a fait voter la ratification du traité intergouvernemental avec la Russie sur le projet de construction de l'oléoduc « Flux turc ». Selon le périodique Milliyet, le projet a été soutenu par 210 députés, avec, au total, 223 élus qui avaient pris part au vote. 7 se sont prononcés contre et 6 se sont abstenus.

 

Pravda.ru a interviewé en toute exclusivité le directeur du service analytique du Fond de la sécurité énergétique nationale Alexandre Passetchnik.

 

- Quels seraient les investissements à réaliser dans le cadre de ce projet ?

 

Alexandre Passetchnik. La Turquie a besoin du gaz parce qu'elle a un marché croissant. En premier temps, la Russie est censée recevoir 16 milliards de mètres cubes. La deuxième ligne devrait être un oléoduc de transit pour faire accéder au gaz les Européens. Il est bien connu que le « Flux turc » se construit selon les paramètres qui prévoient l'affranchissement de tout risque lié à la réalisation du troisième paquet énergétique. A notre tour, nous nous attendrons à ce que les Européens synchronisent le projet de leur côté. C'est qu'ils doivent préparer toute l'infrastructure requise pour réceptionner le gaz à la frontière turco-grecque. Mais on va tout de même commencer par la construction d'un oléoduc destiné à couvrir les besoins turcs. Pour ce qui est du deuxième, tout sera fonction de la conjoncture à venir. C'est-à-dire que les Européens doivent être fixés sur leur dessein de nous prendre notre gaz. Mais il est fort probable qu'ils entérinent le projet. Il y a ici des scénarios à discussion.

 

La Turquie pourrait avoir son gain doublé : elle aura sa marge commerciale en droits de transit et, grosso modo, prendra part à un projet qui nous offrirait à tous la diversification c'est-à-dire la possibilité de livrer le gaz à l'Europe en passant à la fois par le « Nord Stream-2 » que par le « Flux turc ». Ceci instaurera un régime concurrentiel à qui mieux mieux. La Turquie nous aiderait à desservir les Européens et ces derniers en regardant faire la Turquie accéléreraient la mise en chantier de « Nord Stream-2 ». Et après, ils vont se disputer les volumes à livrer.

 

Il est bien connu qu'avant, le flux turc avait pour nom le « Flux du Sud ». Il devait plonger dans la mer Noire et refaire surface en Bulgarie. Mais à cause des préjugés bulgares et la télécommande bruxelloise, nous nous sommes vus obligés de passer du côté turc. Au démarrage, le projet était considéré comme hyper-puissant avec ses 4 lignes pour un volume de 63 milliards mètres cubes. Le « Flux turc » devrait frôler le même niveau, mais finalement nous avons fait transférer deux lignes sur la façade Baltique parce que les Turcs tardaient à prendre la décision. Ces deux pipe-lines ont reçu pour nom de code « Nord Stream-2 » qui n'est autre chose qu'un élargissement de l'oléoduc existant « Nord Stream-1 », déjà en mode opératoire et parfaitement rentable.

 

- Existent-ils des circonstances susceptibles d'influencer la réalisation du projet ?

 

A.P. L'expérience démontre que, dans tous les cas de figure, ces circonstances peuvent encore se manifester : je fais allusion à la force-majeure ou conjoncture politique. Mais, de nos jours, l'énergétique est traitée complètement à part. Je ne crois pas que la politique puisse entraver la réalisation du projet. Si c'était le cas, on n'aurait jamais vu la ratification du projet par le parlement turc. Tout s'inscrit dans les délais. Les Turcs ont besoin de notre gaz et, en plus, ils entendent devenir un pays transitaire.

 

- Quid de l'Ukraine alors ?

 

A.P. L'Ukraine est un cas spécial. Ils nous font chanter en révisant les tarifs de transit à la hausse ce qui n'a plus rien à voir avec le niveau pratiqué sur le marché. Ils font le contraire du bon sens. Ils n'essaient pas de retenir le « Gazprom » chez eux en nous offrant des tarifs compétitifs. Nous sommes de loin leur seul client sans quoi leur infrastructure gazière serait bonne à jeter aux orties. Un autre problème de leurs pipe-lines est qu'ils deviennent obsolètes : ils ne font pas d'investissements dans la modernisation et elles sont en train de tomber en pièces détachées c'est pourquoi nos livraisons ne sont plus sécurisées. En troisième lieu, la raison bien connue par tous est celle qu'à chaque fois qu'ils ont besoin de gaz pour leurs propres besoins, ils en prennent dans le système de transit. Ce qui veut dire que les Européens ne toucheront pas le plein volume de leur gaz payé. Ca a été le cas déjà en hiver 2009.

 

Vous comprenez que nous devons faire face à une multitude de risques que nous sommes appelés à neutraliser. C'est pourquoi les 2 nouveaux oléoducs aidant - « Flux turc » et « Nord Stream-2 » - nous pourrions renoncer aux bons services ukrainiens. En même temps, nous nous plairions peut-être à pomper un certain volume de gaz via le système gazier ukrainien s'il y avait des accords tarifaires respectés et que nous constations le bon fonctionnement de leur système. Nous devons aussi nous assurer que le pompage de transit s'effectuerait en bonne et due forme pour que nos intérêts commerciaux ne soient jamais mis en cause. Malheureusement, ce n'est pas le cas. C'est pourquoi, à partir de 2019, on aurait plutôt un paysage énergétique différent.

 

- Combien de temps faudrait-il pour boucler la construction ?

 

A.P. Les plans ne sont pas révisés. C'est en 2019 que nous verrons le premier gaz livré via « Nord Stream-2 » aussi bien que par l'oléoduc turc. Il se peut que l'on accélère même un petit peu. Et de nouveau, il est à dire que tout est en synchronisation avec l'expiration du contrat avec le « Naphtogaz » ukrainien. Ce contrat est de longue durée, mais les dates y sont bel et bien mentionnées. Nous avons encore le temps et toutes les possibilités. Nous respectons les obligations temporelles prévues par les contrats. Le Gazprom se tient prêt à considérer toutes les éventualités.